Le Château : un livre-ovni magnifique à cent voix sur Inaki Aizpitarte, le Chateaubriand et la restauration française

Cela se lit comme une pièce de théâtre dans laquelle de nombreuses personnalités, sous le prétexte de parler d’une seule table et d’un seul chef, s’expriment sur l’évolution de la restauration française depuis trente ans. Un ouvrage magique et indispensable.

Ce n’est pas tous les jours qu’un livre consacré à un restaurant, et à son chef emblématique, donne la parole à… cent personnes. Peut-être même est-ce la toute première fois. Mais rien dans ce livre ne ressemble à ce que l’édition culinaire – souvent cul-cul – a l’habitude de donner à lire et à voir. Imaginez donc : un livre qui aborde l’histoire d’une adresse – Le Chateaubriand (Paris, 11e arr.) et d’un chef – Inaki Aizpitarte – sans aucune photo de ce dernier, et presque aucune du restaurant lui-même. Une hérésie éditoriale, une folie libraire, une dinguerie esthétique. Mais une réussite totale. 

Il y a quelques semaines, Inaki Aizpitarte, rencontré sur le pas de porte de sa nouvelle table basque de Saint-Jean-de-Luz, s’inquiétait un peu. « Y a un livre qui sort sur le Château ; je n’ai rien vu ; je ne sais pas à quoi ça va ressembler ; ils ont interrogé vachement de personnes ; j’attends de voir ». Nul doute que l’ex-trublion du quartier Goncourt ne s’inquiète plus. Bien au contraire, il doit se régaler de la lecture de ce livre, format et look Pléiade, dans lequel on retrouve quelque cent voix qui parlent de ce lieu exceptionnel à tous les niveaux : la cuisine, l’ambiance, la personnalité du tenancier et le symbole de l’ouverture d’une telle table dans ce quartier qui n’était pas – loin de là – le même qu’aujourd’hui. 

Mais bien au-delà du seul cas du « Château, ce livre revient sur toute la pré-histoire d’Inaki Aizpitarte, à l’époque du Café des Délices de Gilles Choukroun, puis du Burq ; des adresses qui ne parlent à presque plus personne aujourd’hui mais qui marquent pourtant le changement total de paradigme de la restauration parisienne, donc un peu française. Un changement que l’on résume parfois en usant du néologisme « bistronomie », mais qui va, avec Inaki Aizpitarte, Laurent Chareau ou Fred Peneau, bien au-delà : c’est avant tout la naissance d’une contre-culture du restaurant qui en modifiera profondément les contours. Encore aujourd’hui, de très nombreux chefs doivent beaucoup à ce passé quasi révolutionnaire signé d’une petite troupe d’activistes de la bonne bouffe, du bien boire, du bon vivre. 

C’est ce que raconte ce livre qui étend ses pages jusqu’au Chateaubriand version 2024, en passant par l’âge d’or d’une adresse hors beaux quartiers mais gavées de belles histoires. De Ferran Adria jusqu’à Delphine Zampetti, en passant par Pascal Barbot, Raquel Carena, Jonathan Cohen, Romain Duris, Philippe Katerine, Andrea Petrini, François Simon et Rachid Tlemsani, cet ouvrage fera date car il présente un restaurant et un chef sans la moindre starification inutile, sans même les montrer en photographie, mais en parlant d’un état d’esprit salutaire, d’une époque, de souvenirs vivaces, de l’évolution du secteur grâce à une pluralité des points de vue. Il y a de l’humour, de la culture, de l’histoire et beaucoup d’amour. En lisant ce livre, on replonge littéralement dans le passé si vivant d’un « Château » qui, rappelons-le, accueille toujours le coeur ouvert ses clients. 

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Le Château l’oeuvre complète | Entorse Editions | 2024 | 55€

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