La Grenouillère (La Madelaine-sous-Montreuil, 62) : la belle mécanique du fluide

À peine trois mois après avoir rallumé la flamme, La Grenouillère d’Alexandre Gauthier est repartie sur son chemin de crête culinaire avec un engagement et un propos renouvelés, mis au service d’une cuisine plus fluide que jamais.

Depuis le 28 février 2025, et après 17 mois de « coupures d’eau », La Grenouillère a remis les gaz. Le personnel, fidèle, a retrouvé la cadence, la maison retrouve sa superbe et rouvrira d’ici peu huttes et chambres, la flamme brûle au milieu de la salle, tel un totem vivant et brûlant chargé de repousser les éléments aqueux hostiles. En cette soirée méchamment orageuse de la mi-juin, on sent que la mécanique des fluides a été reprise en main par le maitre des lieux et son équipe. C’est devant que ça se passe et pas ailleurs. 

Même sans connaitre préalablement l’écriture culinaire d’Alexandre Gauthier, n’importe quel mangeur un brin averti – et sensible – sentira dès les premières bouchées qu’il se passe quelque chose ici. Point de énièmes tartelettes, pas de piquants pickles pour exciter les papilles, nuls vus et revus qui vous standardisent l’expérience et moutonnent le client. Dans sa globalité – une quarantaine de séquences tout de même -, le propos culinaire ne se veut ni démonstratif, ni labyrinthique, encore moins abscons. Il est, reprenons le thème, simplement fluide. Osons même l’expression oxymorique de fadeur tonique, qui peut aussi se définir comme une cuisine de l’absence, laquelle, parce qu’elle ne s’impose pas par une trop évidente gourmandise, laisse la place à l’interprétation et à l’émotion. L’idée même de la facilité est à l’opposé de la philosophie d’Alexandre Gauthier.

Sur ce chemin de crête culinaire, l’homme n’a jamais semblé aussi à son aise, slalomant avec dextérité entre les classiques de la maison et d’épatantes créations, concentrant ce qui devait l’être, accentuant la puissance sans perdre en finesse, ajoutant des liquides comme un clin d’oeil malicieux au tout récent passé ; le tout savamment mis en « oeuvre » par les belles créations de la céramiste Sylvie Himpens qui a aussi, à sa façon, gravée l’histoire récente de La Grenouillère dans ses clairs contenants. 

Fluide, la Grenouillère l’est. Sans jouer des mécaniques. Sans surjouer sa cuisine. Mais en assumant avec humilité son statut de table iconique, incarnant une écriture et un territoire, à l’instar d’un Hugo Roellinger ou d’un Alexandre Mazzia. Son avenir se place inéluctablement à ce niveau-là. 

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Sur le même sujetAlexandre Gauthier annonce la date de réouverture de La Grenouillère (et celle de l’ouverture des réservations)

Pratique | Site de La Grenouillère
Photographies | FPR

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