Si l’expérience d’un repas peut être définie comme la rencontre d’un art éphémère à réaction immédiate, l’émergence d’une cuisine, dans son identité, son exécution et sa limpidité, s’inscrit dans la durée. Le talent se sent, se perçoit parfois au premier coup d’oeil, ou de fourchette, mais il n’a pas vocation à se figer. Surtout pas. Il doit au contraire se confronter chaque jour au réel pour grandir, s’affiner, s’affirmer. En cuisine, temps courts et temps longs ne s’opposent pas ; ils cohabitent. Il n’empêche que, derrière les mots, la réalité peut être bien différente. Combien de chefs disposent d’un réel talent sans jamais trouver la bonne adresse ; sans jamais trouver le bon équilibre intérieur et se sentent obligés d’être dans une démonstration permanente où la technique prend le pas sur l’émotion ; sans jamais rencontrer succès et reconnaissance ? Malheureusement, les planètes ne sont pas toujours alignées.
Le chef Flavio Lucarini et la cheffe pâtissière Aurora Storari
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Dans son système très solaire, le restaurateur Stéphane Manigold a su trouver les bonnes orbites. Difficile de nier son talent pour faire vivre et progresser ses tables, sans exception aucune au sein du groupe Éclore. En récupérant le fonds de commerce de feu Loiseau Rive Gauche, rue de Bourgogne, il a d’abord tâtonné en faisant passer des tests à une cheffe… qui n’a pas convaincu. Celle-ci a finalement rejoint un célèbre bistrot parisien. À l’autre bout de Paris, dans son Bistrot Flaubert (17e arr.), le chef Flavio Lucarini faisait des merveilles culinaires qui bouleversaient les frontières – mais existent-elles vraiment encore aujourd’hui ? – de la bistronomie et de la gastronomie. Pragmatique, Stéphane Manigold a donc proposé au chef italien de traverser la Seine pour qu’il y magnifie sa cuisine dans une adresse intégralement refaite. Passant d’une rive à l’autre, d’un bistrot lustré par le temps à un écrin contemporain hautement calibré, ce dernier a compris le message : avec son équipe, qui a suivi la migration du transalpin, il fallait pousser les curseurs et regarder vers le haut.
En cet fin d’été 2023, avant que l’heure de la rentrée ne sonne officiellement, Hémicycle allumait le feu. D’emblée, le rythme des assiettes fut fortissimo et leur intensité fortississimo : une puissance gustative bastonnante qui jouait incontestablement un cran trop haut. Quelques jours plus tard, Flavio Lucarini rectifiait déjà le tir mais conservait encore les menus défauts des commencements d’une nouvelle aventure, entre timidité et assurance surjouée. Février 2024, retour chez Hémicycle et, sans que cela soit réellement une surprise, la maison, après cinq mois de vie, a changé de calibre. Les assiettes percutent comme il faut, gardant leur puissance mais gagnant en délicatesse, à l’instar d’une divine « selle d’agneau rôtie, cime di rapa farcis, sauce pistache bergamote, sardine fumée et curry vert maison », débordante de gourmandise ; le service s’est agréablement rodé, beaucoup plus détendu sans rien perdre de son professionnalisme. Même le cadre, réchauffé côté décoration, fait désormais corps avec l’univers culinaire du couple Flavio Lucarini et Aurora Storari (remarquables desserts !). De Rome à Paris, Hémicycle sait faire voyager ses convives, lesquels n’ont pas envie que le périple s’arrête. Au 5 rue de Bourgogne, mieux qu’une majorité absolue rêvée par d’autres, la confiance est adoptée à l’unanimité.
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Pratique
Ouverture | Fin août 2023
Capacité | 32 couverts
Cuisine | Ouverte, avec un comptoir où il est possible de manger (vue panoramique sur les cuisines)
Tarifs | e/p/d au déjeuner (49€) ; menu « Cassia » en quatre temps (85€) ; menu « Appia » en six temps (105€) ; menu « Aurelia » en huit étapes, uniquement au diner (125€) ; un accord mets et vins est possible sur chaque menu
Pratique | 5 rue de Bourgogne, Paris 7e arr. | Ouvert au déjeuner et au dîner du mardi au samedi | Site Internet | Compte Instagram
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Secrétariat de rédaction | Sarah Rozenbaum
Photographies | Ingrid Lovstromlov, Alizée Cailliau