Guide Michelin : la rentabilité plutôt que la qualité et l’éthique

Les restaurants, puis les hôtels, puis les vins, et puis… Depuis quelques années, le guide Michelin se donne les moyens de trouver la rentabilité exigée par le siège social. Mais ce que l’entreprise a gagné économiquement, elle l’a lourdement perdu en éthique et en qualité.

Ce n’est jamais bon signe quand une marque commence une opération de communication en expliquant qu’elle reste « fidèle à son ADN originel ». Déjà, d’elle-même, elle sent qu’elle doit se justifier avant d’annoncer la suite de ses nouveautés. C’est pourtant exactement ce qu’à fait le guide Michelin le 8 octobre dernier à l’occasion d’une journée presse qui avait pour objectif de placer la marque comme un « média global de l’art de vivre ». Autant dire d’emblée que de l’ADN originel, il ne reste pas grand-chose. 

Ne nous éternisons pas ici sur l’identification de cet ADN originel mais remontons seulement à il y a une quinzaine d’années, avenue de Breteuil (Paris, 7e arr.), siège à l’époque de la division cartes et guides. Le grand patron de l’époque prend la parole devant tous les salariés et siffle la fin de la récré. En résumé, voilà le propos : « Avant, vous perdiez de l’argent, beaucoup d’argent, avec l’assentiment du siège car votre déficit entrait dans le budget ‘communication’ de la manufacture. Désormais, c’est terminé. » Quelques mois après, la division était filialisée – avec l’objectif de la vendre fissa selon certains – et mise face à ses responsabilités. La direction – qui trainait quelques casseroles avec des grands chefs – a été évincée. L’heure de Gwendal Poullennec, rapatrié d’Asie, sonnait. Avec une mission : remettre la maison du Bibendum en ordre de marche pour rétablir les comptes. Qu’on l’apprécie ou pas, l’escogriffe breton fait le job avec un certain talent. Avec une double stratégie qui a déjà fait ses preuves : la diversification des activités (les restaurants, les hôtels et maintenant le vin) et des financements forts (partenariats avec des Etats et des grandes entreprises ; commissions prises sur les réservations). 

Économiquement, bravo. Mais l’éthique, elle, s’est dégonflée comme un pneu crevé. La seule référence au lancement prochain d’un guide en Arabie saoudite – à l’instar du Gault et Millau, mais qui n’a en aucun cas le statut de référent – montre bien que l’argent est plus fort que tout. Surtout, le Michelin a en réalité externalisé la plupart des éléments clés de son développement. Sur les hôtels, nous y reviendrons dès demain dans une enquête, mais le scandale est réel, provoquant une rupture d’égalité dans l’attribution des clés. Sur le développement du classement des vins, attendons de voir mais il ne fait guère de doute qu’il y aura beaucoup à dire sur les passerelles éditoriales qui vont se créer avec Robert Parker Wine Advocate, propriété du Michelin depuis 2019. Enfin, sur les restaurants, le Bibendum, s’il fait le boulot sur le terrain, n’a fait que gagner en opacité au fil des ans. À part un petit cercle très étoilé qui entre directement en contact avec la haute direction, pour les autres, c’est le grand silence. Les inspecteurs ne se présentent plus, ils ne répondent plus à rien. Bibendum, le grand muet ? Il y a de ça. Ainsi de la disparition de l’étoile verte des outils de communication du guide – site et application – depuis plus d’une semaine. Une disparition discrète (comme l’assiette par exemple), un bug ou une simple mise à jour, personne ne le sait. Contacté par Bouillantes, le service communication se mure dans le silence. Quelques restaurateurs ont également contacté à de multiplies reprises le Michelin : pas de son, pas d’image. À ce niveau-là, ce n’est plus du silence, c’est de l’irrespect, voire du foutage de gueule en bonne et due forme. Mais Gwendal Poullennec s’en moque, sûr de sa puissance et sûr de la dépendance des restaurateurs à son égard. Mais pour combien de temps ? 

En voulant devenir rentable, le Michelin a totalement changé de philosophie. L’excellence de l’artisan d’hier – une petite quinzaine d’inspecteurs qui ne faisait que ça – a laissé la place à une industrialisation de la notation tous azimuts, avec les dérives inhérentes à un tel système : manque de moyens et intervention d’entités extérieures pour faire le boulot, de TheFork en passant par Booking par exemple. Pour comprendre réellement une entreprise, il suffit de regarder qui la finance. Quand un territoire donne de l’argent au Michelin, celui-ci se place par la force des choses  sous sa dépendance. Certains gains d’étoiles en France et à l’étranger ont d’ailleurs été jugés surprenants tandis que, inversement, certains pays ont arrêté de financer le guide au regard du petit nombre d’étoiles gagnées lors de la première édition. Le Michelin, « fidèle à son ADN originel » ? Malheureusement non.

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