Chef et engagement politique : le silence comme défense, le silence comme offense

Ils sont rares, très rares, celles et ceux qui prennent position sur les élections en cours. Derrière leurs gesticulations sur les réseaux sociaux et leur langage de l’assiette, ne faudrait-il que les chefs, en période mouvementée, osent le tangage politique ?

Les cuisines se sont ouvertes au regard de tous, tout comme les chefs qui paradent toujours plus et, pourtant, les uns et les autres demeurent souvent insondables et secrets. Les cuisiniers s’expriment avec leurs assiettes et ils le font parfois très bien. Tel est leur langage, identitaire et séducteur. Mais nous sommes aujourd’hui nombreux à s’étonner de leurs silences, individuels et collectifs, face à la montée des extrêmes. Ils sont si prompts à prendre la parole pour tout et n’importe quoi, à se servir des réseaux sociaux, et des médias en général, pour faire passer leurs messages personnels, que leur discrétion sur les événements politiques actuels fait un peu désordre. Bien sûr, il serait facile de répondre que les chefs de cuisine n’ont pas à faire chauffer la casserole politique, autrement dit à prendre position. Ils n’auraient pas la légitimité et ils prendraient ce risque incroyable de perdre une clientèle qui ne partagerait pas leurs opinions politiques.

Mais leur montée en puissance médiatique ces dernières années, donc leur influence sur la société, ne serait-elle pas également une source d’obligations pour eux ? Le secteur de la gastronomie, qui a su ouvrir grande sa bouche quand elle a eu besoin du soutien de l’État pour survivre en temps de crise, serre désormais les dents – et surtout ferme les yeux – face à la montée des périls politiques. Les syndicats, l’Umih en tête, se contentent tristement de réclamer des « leviers pour soutenir et dynamiser un secteur vital pour notre économie ». Vital, peut-être, atone politiquement sûrement. Les sept présidents de l’Umih ont publié et signé quelques jours avant le premier tour des élections législatives un document intitulé « 18 mesures d’urgence pour sauvegarder et développer le secteur de l’hôtellerie-restauration », interpellant ainsi « les futurs députés et le futur gouvernement ». On y trouve aucun appel responsable qui dépasse le nombrilisme syndical et l’épaisseur du portefeuille des professionnels du secteur. Dans un tel contexte, on s’étonnerait presque des mots contenus dans le communiqué de presse des Maîtres Restaurateurs, en date du 26 juin, qui évoquent « cette restauration durable et responsable (qui) place l’humain au coeur de son engagement, en cuisine comme en salle ». En matière d’humanisme, il faut parfois se contenter du minimum. 

Du côté des médias spécialisés, il n’y a guère que le Fooding qui a ouvertement pris position (et Bouillantes d’une certaine façon). Forcément, les réseaux sociaux ont montré leur énervement et leur opposition. Un classique qu’il faut assumer quand il y a des prises de position tranchées. Trancher, voilà ce que l’on fait de moins en moins au restaurant, empire du mou et du tiède, dans l’assiette comme dans l’idéologie (oh le gros mot !), à l’antithèse d’une cuisine identitaire revendiquée, mais manifestement refermée sur elle-même. Le silence comme défense. Le silence comme offense surtout.

_____

Sur le même sujet | Élections législatives : face à la cécité de la Cité, ouvrons les yeux
Photographie | Kristina Flour

DOSSIER

La restauration, son image et ses dysfonctionnements : à qui la faute ? Le rôle des partenariats

S’il y a bien un secteur qui baigne dans une image paradoxale, c’est celui de la restauration. D’un côté, les lumières médiatiques, les jolis partenariats, la relation directe avec le client venu pour se faire plaisir. De l’autre, des horaires à rallonge, des salaires peu enviables et, plus largement, des conditions de travail difficiles, voire violentes. Le restaurant, un miroir aux alouettes des temps modernes ? Bouillantes a mené un grand travail de décryptage en quatre volets pour essayer de comprendre d’où viennent ces paradoxes et ces dysfonctionnements. À qui la faute si faute il y a ? Ce premier volet est consacré aux partenariats qui… ne sont pas irréprochables dans cette affaire.

LES COURTS BOUILLANTES

LES DERNIERS ARTICLES

Les écoles de cuisine de Thierry Marx à bout de souffle

Le réseau des écoles Cuisine mode d’emploi(s), fondé par Thierry Marx, pourrait définitivement péricliter dans les prochaines semaines. Sur les neuf établissements, cinq ont déjà fermé leurs portes. Les autres pourraient suivre le même chemin dans les prochains mois.

Cités de la Gastronomie : Dijon coule… comme les autres

Sur le papier, les projets étaient grandioses. Sur le terrain, l’échec est total. Alors que le projet Paris-Rungis est repoussé aux calendes grecques, la Cité de Lyon est au point mort tandis que celle de Dijon connait redressements et liquidations judiciaires.

Après les révélations de violences conjugales, quel avenir professionnel pour le chef Jean Imbert ?

Une enquête du magazine Elle a mis en évidence les violences conjugales de Jean Imbert, chef du Plaza Athénée et signataire de nombreuses cartes en France et à l’étranger. Les faits révélés, s’ils relèvent de la sphère privée, ne sont pas sans conséquences pour les établissements et les marques qui ont misé sur la puissance médiatique de l’ex-Top Chef. Risque économique, mauvaise image, bad buzz, comment les employeurs peuvent réagir à une telle situation, du silence radio à la rupture de contrat.

Jean Imbert et le « syndrome de Stockholm » vécu par ses collaborateurs

Après les révélations sur le fonctionnement violent de Jean Imbert avec ses compagnes, faut-il en conclure que le chef se comporte avec ses collaborateurs comme l’homme dans la sphère privée ? Bouillantes a recueilli plusieurs témoignages qui ne laissent guère de doute sur la personnalité d’un homme manipulateur dont l’emprise semble incontestable, jusqu’à provoquer un surprenant syndrome de Stockholm.

Jean, Hubert, Ivan et les autres : le #metoo de la restauration a peut-être commencé

Après les premières révélations publiées dès 2014, le sujet des violences en cuisine constitue un sujet plus ou moins régulier dans la presse et sur les réseaux sociaux. Il est revenu en force ces derniers jours avec des témoignages qui accusent directement et précisément certains acteurs de la restauration pour des faits répréhensibles commis en dehors de la chaleur des fourneaux. Après Jean Imbert il y a à peine quelques jours, une « figure montante de la scène food parisienne » vient d’être accusée d’avoir drogué au GHB une femme au sein même de son établissement. Laquelle ne serait manifestement pas un cas isolé. Quand les casseroles sortent à une telle cadence, il faut se demander si le #metoo des cuisines ne vient pas réellement de démarrer.

Le vin « nature » : expression du terroir ou dogme du laisser-faire ?

Défendu comme une expression pure du terroir, critiqué pour ses excès, le vin nature bouscule les codes du monde viticole. Ce « vin philosophique » selon l’expression du sommelier Xavier Thuizat interpelle tout un secteur, interroge un savoir-faire ancestral et repose la question de l’équilibre entre la maitrise et l’aléa, l’expression directe d’un terroir et la technique qui oriente. Derrière les idées reçues, entre idéal et réalité, est-ce finalement le nature qui dénature ?

L’Assiette Champenoise (Tinqueux, 51) : l’émotion renouvelée

Dans le cercle restreint des tables triplement étoilées françaises, l’Assiette Champenoise est régulièrement citée comme l’une des plus excitantes. Dans cette belle ville de Reims toujours plus étoilée, que vaut vraiment cette table dirigée par Arnaud Lallement, lequel peut compter depuis une année sur l’arrivée de son fils, Brice ? Retour d’expérience.

Drouant, son chef et ses belles bécasses postées sur Instagram

Romain Van Thienen, chef du restaurant Drouant (Paris, 2e arr.) a posté il y a quelques jours une vidéo et des photos de… bécasses accrochées dans les cuisines de son établissement. Se rendant compte de sa grosse bourde, il a rapidement supprimé tout le contenu. Mais le mal était fait.

Violences conjugales : Jean Imbert dans la tourmente

Porte défoncée, coup de boule… Selon nos informations, un article publié par le magazine Elle dans les prochaines heures relate différents faits graves de violences conjugales commis par le chef Jean Imbert. Lequel n’en serait malheureusement pas à son coup d’essai.

Le faux « ambassadeur » Guillaume Gomez va enfin assumer son rôle de vrai « consultant » au service de l’industrie agroalimentaire

Mais qui est vraiment Guillaume Gomez, un honnête défenseur des « petits » ou un opportuniste qui fait affaire avec les « gros » ? Celui qui s’est autoproclamé « ambassadeur de France de la Gastronomie » devrait dévoiler son jeu d’ici peu et annoncer officiellement le lancement de son agence de conseil au service de l’industrie agroalimentaire. La casquette change mais le boulot reste le même.