L’habit ne fait pas le moine, mais il y a parfois des choix qui en disent long. Depuis quelques années, l’annonce des nouvelles tables étoilées se double d’un rituel, celui de la remise de la nouvelle veste au chef qui monte sur scène. Une belle veste blanche immaculée, incarnant tout le savoir-faire d’une profession, un présent de choix qui permet au Michelin d’habiller les chefs au sens premier du terme. Mais tout cela n’est pas gratuit, loin de là même. Cette année, sur la manche de gauche, il y a le logo de Destination Moselle, la puissance accueillante ; sur celle de droite, il y a les noms de Lafont, le fournisseur de la veste, et plus problématique ceux de Metro et Président Professionnel. Que celui qui pense que le Bibendum rase gratis aille se rhabiller ailleurs.
Si tous les chefs se sont emparés de la veste pour l’enfiler sans la moindre hésitation, il y en a un, un seul, qui a fait un choix contraire. Poli, il a pris la veste mais, cohérent avec ses engagements et sa philosophie, il ne l’a pas portée. En agissant ainsi, Hugo Roellinger s’inscrit dans la filiation paternelle, intègre et rebelle, passionnée et engagée. L’un comme l’autre, Hugo et Olivier, n’ont jamais eu la prétention de jouer de leur côté, de faire croire qu’ils se moquaient des étoiles, mais ils osent contester certaines dérives sans vouloir rejeter le système dans son intégralité. La preuve : toute la famille ou presque était là pour féliciter le couple Marine et Hugo Roellinger, et l’émotion de ce dernier suffisait à prouver l’importance du moment. Mais le souhait de ne pas mettre sur ses épaules cette veste prouve qu’il est possible d’envoyer des messages sans chercher à mettre le feux au poudres.
Le Michelin, machine à partenariat, pompe à fric
Il fut un temps où le guide Michelin n’était qu’un outil de communication au service des pneus de la même marque : on vantait du papier pour refourguer du caoutchouc. Dans le budget consolidé de la firme de Clermont-Ferrand, la ligne de la division Carte et Guides était irrémédiablement déficitaire et personne ne s’en plaignait, pas même les Auvergnats. Et puis les temps ont changé, la société aussi.
Désormais, il faut engranger du chiffre, faire du bénéfice, vaille que vaille. Le filiforme Gwendal Poullennec, diplômé d’une prestigieuse école de commerce, a été recruté pour ça. Et il le fait à merveille. Pour la sauterie de Metz, le Bibendum a regroupé pas moins de… 15 partenaires, réussissant même à faire venir Visit Luxembourg qui disposait d’un stand sur lequel il proposait quelques verres de vin pour la modique somme de 100 000€.
Sur l’espace « presse » en ligne où il est possible de récupérer des centaines de photos de l’événement, sur les 37 albums proposés, quelque 21 sont reliés à des partenaires. En quelques années, le Michelin est devenu une machine à partenariat et une pompe à fric.
Comme nous l’écrivons dans notre encadré (lire ci-dessus), le Michelin ne fait plus rien sans partenaires. Un prix, c’est un partenaire ; une nouvelle destination, ce sont des financements garantis en amont. Rien de plus normal dans un système où chacun doit s’y retrouver financièrement. Mais il y a comme un paradoxe récurrent pour les chefs à vanter d’un côté leur philosophie de travail, qui convoque le petit producteur et l’artisanat, mais qui de l’autre se contrefiche d’être des colonnes Morris ambulantes pour des marques qu’ils abhorrent. Un choix qui, pour certains, en dit long sur leurs incohérences. Grâce à Hugo Roellinger, chef bien élevé, le Michelin s’est pris une veste, logotypée « Bretagne », terre frondeuse et salutaire.
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Photographie | Cédric Le Dantec