Un discours du président de la République, suivi d’une tribune parue dans la presse, et voilà que le titre de maitre restaurateur revient sur le devant de la scène. « La voie à suivre est celle des maitres restaurateurs » a lancé lundi 29 septembre Emmanuel Macron devant un parterre de chefs et d’artisans lors d’un grand repas au Palais de l’Elysée. Quelques jours plus tard, dans un texte publié par Le Figaro, le chef Philippe Etchebest et le restaurateur Stéphane Manigold abondent dans le même sens, en limitant une baisse de la TVA dans le secteur de la restauration, de 10% à 5,5%, aux seuls titulaires du titre d’État des maitres restaurateurs. Pour les autres, c’est le retour au taux normal de 20%, celui d’avant la réforme de 2009. L’objectif est clair : différencier les établissements qui pratiquent le fait maison des simples réchauffeurs de plats. D’un côté la bonne restauration qui ploie sous les charges, notamment salariales ; de l’autre la malbouffe qui gangrène la santé des Français et prolifère comme de la mauvaise herbe partout sur le territoire.
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« Avec cette solution, en plus des vérifications réalisées par les directions départementales de la protection des populations (DDPP), il va y avoir les contrôles du fisc qui vont s’y ajouter. Et là, ce n’est plus la même affaire »
« Ce lien entre le titre de maitre restaurateur et une TVA réduite me semble une très bonne idée » estime Alain Fontaine, président de l’association française des maitres restaurateurs (AFMR). Une position partagée par 54% des votants au sondage réalisé par Bouillantes via son compte Instagram (850 votants), 36% répondant « non » et 10% « je ne sais pas ». De très nombreux commentaires, parfois virulents, jugent négativement cette proposition. « Est-ce que maître restaurateur signifie que tout est fait correctement ? Je ne le pense pas » avance par exemple un professionnel à la tête d’un restaurant à Perpignan. D’autres commentaires développent cette idée que le titre n’est en rien un gage qualité. Rappelons qu’il faut 80% de fait maison (et non pas 100%) pour l’obtenir. Un pâtissier pointe du doigt ce qui semble constituer, à en croire les messages laissés, un point faible du dispositif : les contrôles. « Ce lien entre le titre d’État et le montant de la TVA constitue une erreur car le contrôle du cahier des charges n’existe pas. Une fois le titre obtenu, chacun peut faire n’importe quoi. Maitre restaurateur, ça n’a aucune valeur. » Menteurs les chefs ? Malheureusement, la chose est connue et le différentiel entre la belle communication d’un côté et la vérité des produits sélectionnés de l’autre est parfois vertigineux. « Je n’ai jamais vu une profession plus menteuse » expliquait un inspecteur des fraudes à un professionnel de la restauration qui a souhaité garder l’anonymat.
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Sur les 97 préfectures que compte la France, plus de 50% contrôlent systématiquement le titre. À ce jour, selon Alain Fontaine, quelque 300 établissements sur les 3 300 titulaires revendiqueraient à tort le titre d’État
« Ne pas vouloir de ce rapprochement entre TVA à taux réduit et titre de maitre restaurateur, c’est un argument des industriels » lance Stéphane Manigold qui travaille depuis longtemps sur le sujet, lui qui a vu son projet de loi sur le fait maison torpillé par Thierry Marx il y a quelques années. Le président du groupe Eclore rajoute dans le débat une remarque qui pèse son poids : « Avec cette solution, en plus des vérifications réalisées par les directions départementales de la protection des populations (DDPP), il va y avoir les contrôles du fisc qui vont s’y ajouter. Et là, ce n’est plus la même affaire. » Des propos confirmés par Alain Fontaine qui estime que, depuis cinq ans, de nombreuses vérifications sont effectuées : « Je peux vous garantir que les contrôles sont nombreux. Dans les grandes villes, Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux et d’autres, ils sont réguliers. » Le président de l’AFMR, chef du restaurant Le Mesturet (Paris, 2e arr.), avance des chiffres : sur les 97 préfectures que compte la France, plus de 50% contrôlent systématiquement le titre. À ce jour, selon lui, quelque 300 établissements sur les 3 300 titulaires revendiqueraient à tort le titre d’État. « Je ne dirais pas qu’ils fraudent. Certains oublient de renouveler leur titre car ils pensent que c’est à vie » tempère-t-il. Rappelons ici pour les étourdis que le titre de maitre restaurateur n’est valable que quatre années. Après, il faut faire de nouveau appel à l’un des quatre organismes certificateurs pour le renouvellement. Être certifié, cela a un coût, et certaines critiques portent sur le fait qu’il soit nécessaire de payer pour bénéficier du taux réduit de TVA. Oui, c’est vrai, mais il faut tempérer : le tarif est de 490€ HT pour quatre années. « Aujourd’hui, il est possible d’être certifié sans adhérer à l’AFMR » rappelle opportunément Alain Fontaine. Le coût de l’adhésion annuelle s’élève à 354€ TTC, ce qui permet de bénéficier de nombreux avantages, dont la plaque tricolore.
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« La baisse de la TVA, il s’agit d’une mesurette qui n’est pas à la hauteur des enjeux »
Par-delà la question de la justesse de l’attelage entre TVA et titre de maitre-restaurateur, il se joue des enjeux cruciaux pour tout un secteur. « Ne nous trompons pas : il ne s’agit pas d’un détail budgétaire mais d’un choix de civilisation. Un restaurant, ce n’est pas un point de retrait, c’est un écosystème » est-il écrit dans la tribune publiée par Le Figaro. « Le déséquilibre concurrentiel actuel est inacceptable » assène Stéphane Manigold. « Où est la valeur ajoutée d’un établissement dans lequel on se contente de réchauffer des plats industriels, sans personnel à payer, sans sourcing de produits de qualité ? » Le président du groupe Eclore ne manque pas d’arguments pour crier haro sur ce secteur qui bénéficie de nombreux avantages : « Dans les grandes chaines de fast food, les salaires sont bas car ils ne sont pas qualifiés. Du coup, ils profitent d’avantages sur les charges dont nous ne pouvons profiter puisque nous payons correctement nos salariés. » Des propos relayés par Alain Fontaine qui emploie 26 personnes dans son restaurant : « Si tout n’était pas cuisiné ici, je pourrais descendre à 15 ou 16 salariés sans souci. Vous imaginez la différence de coût ? » Deux restaurations, deux philosophies, deux réalités qu’il faut aujourd’hui différencier à tous les niveaux, et surtout économiquement, pour que la « vraie » puisse perdurer.
La solution de la baisse de la TVA fait-elle l’unanimité pour autant ? Pas tout à fait. « Il s’agit d’une mesurette qui n’est pas à la hauteur des enjeux » juge Renaud Geille, restaurateur à Nice. « J’ai fait une simple règle de trois et j’arrive à une augmentation de 3% du chiffre d’affaires en baissant le taux de TVA. En admettant que cela se retrouve en ‘bas de page’ sur le compte d’exploitation, je juge que c’est très insuffisant pour restructurer les équilibres économiques de la restauration traditionnelle. » En somme, le calcul semble simple : pour un million d’euros de chiffre d’affaires, la baisse de la TVA génèrerait 30 000€ sur une année. « Pas du tout, ce montant est de 45 000€ » tempête Stéphane Manigold qui base son calcul sur la soustraction de 10 moins 5,5, soit 4,5. Qui a le bon calcul, difficile à dire puisque le chiffre d’affaires est en réalité généré par des TVA différentes, à l’instar du vin ou de certains produits de luxe taxés à 20%. 30 000 ou 45 000€ de plus pour un million d’euros de chiffre d’affaires, victoire symbolique ou réelle sur la malbouffe ? Le président du groupe Eclore refuse fermement l’idée de mesurette, en expliquant que, d’une part, ce système des taux différenciés existent dans d’autres pays européens et a fait ses preuves et, d’autre part, qu’il faut replacer cela dans le large écosystème de la restauration qui peut se résumer ainsi : favoriser la vraie restauration bénéficie au portefeuille et à la santé, donc aux finances privées et publiques. « Jamais les tribunaux des affaires économiques (nouveau nom des tribunaux de commerce, ndlr) n’ont connu autant de procédures collectives dans notre profession » souligne au passage Stéphane Manigold.
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Tout le monde est gagnant : l’Etat récupère de la TVA, les salariés voient leur salaire augmenter de 25% selon ses calculs et la malbouffe finance la restauration de qualité
De son côté, le restaurateur à la tête de deux établissement niçois – Aux Viviers et le Bistrot des Viviers -, tient sa proposition. Renaud Geille : « Voilà ce que je propose pour créer une vraie rupture : tous les restaurants passent à une TVA à 20% ; les charges sociales pesant sur les salariés sont réduites à zéro ; les charges patronales sont supprimées pour la restauration traditionnelle, mais pas pour les autres. » Selon lui, tout le monde est gagnant : l’Etat récupère de la TVA, les salariés voient leur salaire augmenter de 25% selon ses calculs et la malbouffe finance la restauration de qualité. « La proposition de Stéphane Manigold et Philippe Etchebest part d’une bonne idée mais ce n’est pas suffisant pour faire bouger les grands équilibres d’une profession mal en point. Il y a urgence à agir vite et fort. » Si la proposition est séduisante, elle pourrait être illégale. C’est en tout cas le point de vue de Stéphane Manigold : « Il y a une évidente rupture d’égalité qui empêche sur le terrain du droit de telles mesures. Pourquoi notre secteur bénéficierait de cela sans que ce soit le cas pour le secteur du bâtiment par exemple ? Juridiquement, c’est impossible. » Reste alors l’arme de la TVA, à la baisse ou à la hausse, qui avait largement servi les industriels en 2009. Un mauvais souvenir pour la profession. Là, en différenciant la restauration traditionnelle et le « mauvais » fast food, l’écueil du passé devrait être écarté. Selon certaines estimations, le chiffre d’affaires de la malbouffe atteint en France les 56 milliards d’euros. Il est évident que si la TVA venait à doubler, pour repasser à 20% donc, cela ferait un joli pactole pour l’État français qui en a bien besoin. Selon le président du groupe Eclore, la proposition aurait déjà fait son chemin dans les directions et ministères concernés. Reste à savoir quand la France aura un nouveau gouvernement à même de se saisir du sujet. Et ça, ce n’est pas gagné non plus.
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Photographie | Monika Grabkowska