Le Gault&Millau nomme « table de la semaine » un restaurant dont le chef est ouvertement accusé de violences et blacklisté par les écoles spécialisées

Outre les incohérences et les béances objectives de la sélection réalisée par les équipes du guide Gault&Millau, celles qui gèrent le magazine et les réseaux sociaux ont décidé de valoriser cette semaine un restaurant, en le nommant « Table de la semaine », alors que son chef est accusé par de nombreuses femmes de violences diverses et que son établissement est blacklisté par plusieurs écoles. Un choix méprisant et honteux.

Le marketing et l’éthique essaient parfois d’avancer ensemble. Cela ne fonctionne pas toujours, très loin de là. Incontestablement, le Gault&Millau ne sait pas faire et se prend plutôt les pieds dans le tapis. Alors que les équipes qui gèrent la sélection du guide, dirigée par l’inoxydable Marc Esquerré – même si la rumeur de son départ à la retraite se fait de plus en plus forte -, n’arrivent toujours pas à couvrir correctement le territoire national, celles qui gèrent le magazine et les réseaux sociaux viennent de faire un choix lourd de sens. 

Samedi 30 novembre, le compte Instagram de Gault&Millau a désigné, comme « Table de la semaine », le restaurant Nhome (Paris, 1er arr.) du chef Matan Zaken. Deux toques, 14/20, « une table dans le ventre mou de notre sélection et qui n’a pas reçu de prix ces derniers temps » explique à Bouillantes une personne qui travaille pour le guide. La question ici posée n’est pas tant de savoir si une telle table mérite ou pas ce petit coup de projecteur marketing au regard de l’assiette mais de savoir si, au regard d’un contexte plus large, il est raisonnable de l’avoir fait. 

En récompensant des tables sur lesquelles il y a des soupçons très forts de violences, le « jaune » ne se contente pas de fermer les yeux : ils relativisent les accusations. Pire, ils les dévalorisent. 

Rappelons donc ce contexte. Dans une longue enquête publiée par le journal Libération fin septembre, ayant pour titre « Le management toxique du chef étoilé Matan Zaken : ‘J’espère que mes remarques de connard te font progresser’ », le chef est accusé par une dizaine d’anciennes collaboratrices de « comportements inappropriés ». Remarques sexistes, grossières, ordre militaire qui n’accepte pas la moindre contestation…. « Il dit tout le temps qu’il connaît des gars qui peuvent casser des bras » témoigne ainsi Louise qui a travaillé avec Matan Zaken. « Avec Matan, il y a souvent des vagues de départ : les arrêts maladie pour burn-out deviennent des départs et tout le monde finit par partir… avant d’être remplacé par de nouvelles personnes » explique une salariée qui fut proche du chef. Inutile de reproduire l’intégralité de cette longue enquête qui démontre des faits et gestes inacceptables. Dans l’article, il est bien précisé que les écoles Ducasse (qui a « exflitré » une de ses étudiants de Nhome) et Lyfe (ex-Institut Paul Bocuse) ont placé le restaurant sur leur liste noire. Malheureusement, l’enquête rappelle que les femmes interrogées n’ont pas porté plainte, « soit parce qu’elles jugeaient la procédure trop coûteuse en frais d’avocats, soit parce qu’elles n’ont aucune foi en la justice ». 

Certains avanceront la présomption d’innocence pour défendre le choix du Gault&Millau, d’autant plus que les plaintes ne semblent pas exister à ce jour. Certes, cela peut se défendre. Mais, au regard du sérieux de l’enquête, du nombre de témoignages, du choix de deux écoles réputées de placer le restaurant sur liste noire, comment peut-on expliquer un tel choix sauf à y voir une provocation de la part du Gault&Millau ? Une provocation qui en dit long sur le respect des équipes du magazine et des réseaux sociaux vis-à-vis de ces femmes qui ont osé prendre la parole et dénoncer les faits d’un chef médiatique et, justement, valoriser par les médias, Libération compris dans un article antérieur. 

En récompensant des tables sur lesquelles il y a des soupçons très forts de violences, le « jaune » ne se contente pas de fermer les yeux : ils relativisent les accusations. Pire, ils les dévalorisent. Alors même que les peurs de parler et de porter plainte  se perpétuent dans le milieu des cuisines, le Gault&Millau protège indirectement les harceleurs et les violents en tout genre en leur disant : « Ne vous inquiétez pas, nous, c’est l’assiette, rien que l’assiette, tout le reste, on s’en fout ». Un choix méprisant et honteux qu’il faut dénoncer. Haut et fort. 

___

Sur le même sujet | The Fork Awards 2023 : Nhome (Paris) reçoit le « Grand Prix du public »
À lire ailleursLe management toxique du chef étoilé Matan Zaken : «J’espère que mes remarques de connard te font progresser» (Libération)
Photographie | Gault&Millau

DOSSIER

La restauration, son image et ses dysfonctionnements : à qui la faute ? Le rôle des partenariats

S’il y a bien un secteur qui baigne dans une image paradoxale, c’est celui de la restauration. D’un côté, les lumières médiatiques, les jolis partenariats, la relation directe avec le client venu pour se faire plaisir. De l’autre, des horaires à rallonge, des salaires peu enviables et, plus largement, des conditions de travail difficiles, voire violentes. Le restaurant, un miroir aux alouettes des temps modernes ? Bouillantes a mené un grand travail de décryptage en quatre volets pour essayer de comprendre d’où viennent ces paradoxes et ces dysfonctionnements. À qui la faute si faute il y a ? Ce premier volet est consacré aux partenariats qui… ne sont pas irréprochables dans cette affaire.

LES COURTS BOUILLANTES

LES DERNIERS ARTICLES

Cités de la Gastronomie : Dijon coule… comme les autres

Sur le papier, les projets étaient grandioses. Sur le terrain, l’échec est total. Alors que le projet Paris-Rungis est repoussé aux calendes grecques, la Cité de Lyon est au point mort tandis que celle de Dijon connait redressements et liquidations judiciaires.

Après les révélations de violences conjugales, quel avenir professionnel pour le chef Jean Imbert ?

Une enquête du magazine Elle a mis en évidence les violences conjugales de Jean Imbert, chef du Plaza Athénée et signataire de nombreuses cartes en France et à l’étranger. Les faits révélés, s’ils relèvent de la sphère privée, ne sont pas sans conséquences pour les établissements et les marques qui ont misé sur la puissance médiatique de l’ex-Top Chef. Risque économique, mauvaise image, bad buzz, comment les employeurs peuvent réagir à une telle situation, du silence radio à la rupture de contrat.

Jean Imbert et le « syndrome de Stockholm » vécu par ses collaborateurs

Après les révélations sur le fonctionnement violent de Jean Imbert avec ses compagnes, faut-il en conclure que le chef se comporte avec ses collaborateurs comme l’homme dans la sphère privée ? Bouillantes a recueilli plusieurs témoignages qui ne laissent guère de doute sur la personnalité d’un homme manipulateur dont l’emprise semble incontestable, jusqu’à provoquer un surprenant syndrome de Stockholm.

Jean, Hubert, Ivan et les autres : le #metoo de la restauration a peut-être commencé

Après les premières révélations publiées dès 2014, le sujet des violences en cuisine constitue un sujet plus ou moins régulier dans la presse et sur les réseaux sociaux. Il est revenu en force ces derniers jours avec des témoignages qui accusent directement et précisément certains acteurs de la restauration pour des faits répréhensibles commis en dehors de la chaleur des fourneaux. Après Jean Imbert il y a à peine quelques jours, une « figure montante de la scène food parisienne » vient d’être accusée d’avoir drogué au GHB une femme au sein même de son établissement. Laquelle ne serait manifestement pas un cas isolé. Quand les casseroles sortent à une telle cadence, il faut se demander si le #metoo des cuisines ne vient pas réellement de démarrer.

Le vin « nature » : expression du terroir ou dogme du laisser-faire ?

Défendu comme une expression pure du terroir, critiqué pour ses excès, le vin nature bouscule les codes du monde viticole. Ce « vin philosophique » selon l’expression du sommelier Xavier Thuizat interpelle tout un secteur, interroge un savoir-faire ancestral et repose la question de l’équilibre entre la maitrise et l’aléa, l’expression directe d’un terroir et la technique qui oriente. Derrière les idées reçues, entre idéal et réalité, est-ce finalement le nature qui dénature ?

L’Assiette Champenoise (Tinqueux, 51) : l’émotion renouvelée

Dans le cercle restreint des tables triplement étoilées françaises, l’Assiette Champenoise est régulièrement citée comme l’une des plus excitantes. Dans cette belle ville de Reims toujours plus étoilée, que vaut vraiment cette table dirigée par Arnaud Lallement, lequel peut compter depuis une année sur l’arrivée de son fils, Brice ? Retour d’expérience.

Drouant, son chef et ses belles bécasses postées sur Instagram

Romain Van Thienen, chef du restaurant Drouant (Paris, 2e arr.) a posté il y a quelques jours une vidéo et des photos de… bécasses accrochées dans les cuisines de son établissement. Se rendant compte de sa grosse bourde, il a rapidement supprimé tout le contenu. Mais le mal était fait.

Violences conjugales : Jean Imbert dans la tourmente

Porte défoncée, coup de boule… Selon nos informations, un article publié par le magazine Elle dans les prochaines heures relate différents faits graves de violences conjugales commis par le chef Jean Imbert. Lequel n’en serait malheureusement pas à son coup d’essai.

Le faux « ambassadeur » Guillaume Gomez va enfin assumer son rôle de vrai « consultant » au service de l’industrie agroalimentaire

Mais qui est vraiment Guillaume Gomez, un honnête défenseur des « petits » ou un opportuniste qui fait affaire avec les « gros » ? Celui qui s’est autoproclamé « ambassadeur de France de la Gastronomie » devrait dévoiler son jeu d’ici peu et annoncer officiellement le lancement de son agence de conseil au service de l’industrie agroalimentaire. La casquette change mais le boulot reste le même.

Partenariats à gogo : le Michelin s’est pris une veste par Hugo Roellinger

Lors de la cérémonie du guide Michelin, contrairement à tous ses confrères et consoeurs, le chef Hugo Roellinger n’a pas enfilé sa veste blanche offerte par le Bibendum, arborant les toutes chaudes trois étoiles mais aussi le nom de plusieurs partenaires qui ne collent pas vraiment avec l’esprit de la maison bretonne. Un acte solitaire qui honore un homme, une famille, et qui devrait interpeller toute une profession.

Alain Ducasse : bientôt sans biscuits ? 

Une étoile de perdue au Benoit, une étoile absente chez Ducasse Baccarat, un Meurice qui stagne à deux étoiles et, possiblement, la perte d’une mission de consulting emblématique pour Alain Ducasse. Le Monégasque est-il en train de perdre ses biscuits ?