Comme à chaque fois, la fête a été belle. Comme à chaque fois, les chefs ont répondu présents, toujours heureux de se retrouver de temps en temps pour se taper dans le dos et lever le coude. Comme à chaque fois, le palmarès a de l’allure, mélangeant habilement la distinction incontestable, la bonne découverte et le copinage caché. Celui de cette année ne fait pas exception à la règle. Le Gault&Millau ne déroge pas à ses principes. Qu’ils soient vertueux ou vicieux.
Avant même l’annonce du palmarès, Bouillant(e)s s’était fendu d’un court mais incisif message mis en ligne sur Instagram. En voila la teneur pour celles et ceux qui ont raté le libelle :
« Sacré Gault&Millau ! Année après année, ce guide se perd un peu plus dans ses choix et sa stratégie aléatoire. Un coup, il tente le coup de gueule contre un chef qui n’a rien demandé à personne pour montrer qu’il existe, en faisant un flop monumental ; un autre, il cherche inutilement la polémique en menaçant de supprimer les notes des chefs qui ne proposent pas de carte, à la demande d’une infime minorité de restaurateurs multi-étoilés (pardon, multi-toqués). Un faux débat à une époque où tout le monde tire la langue et cherche à s’en sortir.
Sur le terrain, que dire des oublis à foison, des textes ripolinés à la va-vite sans la moindre visite, des notes totalement absurdes, des copinages qui font ‘tâche’… Et voilà désormais un guide qui se ferme à la critique, mais qui s’ouvre à la censure. Manifestement, les dernières analyses du média Bouillant(e)s n’ont pas été appréciées puisque le média n’est pas invité à leur grande soirée annuelle, qui s’est déroulée à Paris le lundi 6 novembre. Une première ! Grand bien leur fasse. Voilà un signe supplémentaire de la crispation d’un guide qui multiplie les initiatives en tout genre pour mieux cacher sa profonde vacuité.
Le ‘jaune’ entre-soi semble se suffire à lui-même, alors qu’il n’apporte en réalité plus aucun sens, ni à la profession, ni au grand-public qui en a oublié jusqu’à son existence. »
Forcément, le texte a fait réagir. En « on » avec quelques commentaires qui viennent corroborer la prise de position du média. Mais c’est surtout en « off », comme souvent, que les langues se délient sur le fonctionnement du guide. Plusieurs dizaines de messages de chefs et de professionnels du secteur ont été reçus. Avec, à chaque fois, les mêmes items : d’abord le copinage. Un grand classique du guide et, surtout, du responsable de la sélection, Marc Esquerré, qui a toujours eu ses têtes dans le métier. Puis vient la question de la notation et de l’absence des visites par un « enquêteur » du guide jaune. Pour avoir interviewé ou simplement échangé avec différents dirigeants du Gault&Millau depuis près de quinze ans, il est possible d’affirmer que le guide a toujours eu pour habitude de modifier des textes, voire des notes, sans même prendre la peine de se rendre sur place. Depuis quelques mois, sans jamais l’avoir officialisé, Marc Esquerré bloque les notes et les toques – voire les baisse – quand le restaurateur ne propose qu’un menu « caché » (un menu carte blanche dans lequel les plats ne sont pas annoncés). Plusieurs chefs ont ainsi mentionné ce nouveau parti-pris du guide. Pourquoi un tel choix ? Il y a de cela plusieurs mois, quelques « grands » chefs ont fait part à Marc Esquerré d’une forme de concurrence déloyale entre ceux qui proposent un choix à leurs clients et les autres qui se contentent d’un menu surprise. Le débat ne manque pas d’intérêt, mais encore faut-il le dire tout haut, ouvrir le débat publiquement, et ne pas se contenter d’agir en catimini et, de fait, de blesser des chefs qui comprennent de moins en moins – et c’est vrai aussi pour le Michelin – le fonctionnement de ceux qui les jugent et les notent.
Copinage, notes et toques bloquées à cause d’un menu « caché », absence de visite mais texte remanié pour faire comme si, territoires oubliés par manque de moyens, confusion entre l’éditorial et le commercial, le Gault&Millau a du plomb dans l’aile. Depuis fort longtemps diront certains, et ils n’ont pas tort : ce guide ne sert à rien ou presque, il n’a aucune influence sur les réservations, le grand public l’a oublié depuis des années. Les chefs ne sont pas dupes de la situation et ont parfaitement conscience du péril jaune. Mais puisque, une fois l’an, la fête est belle, le simulacre d’un soir suffit.
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