Dans une industrie qui promeut en apparence le vrai, voilà que le faux débarque en grandes pompes. Un faux privatisé qui pourrait faire fureur. Et quoi de mieux que le Sirha, ce salon du « food service » qui incarne tous les travers du secteur, pour lui dérouler le tapis rouge ? Un tapis rouge « sans » en apparence, mais un tapis rouge sang si l’on y regarde de plus près.
Dans un communiqué de presse en date du 24 janvier, la société américaine, notamment vantée par la cheffe Dominique Crenn, annonce l’arrivée sur le marché français, en restaurations collective et commerciale de son steak sans viande : « Une innovation, conçue pour offrir une bouchée juteuse, tendre et délicieuse, le Beyond Steak, sera apprécié par les amateurs de viande, flexitariens et végétariens. Encensé par les critiques et récompensé à l’international, le Beyond Steak est parfait pour les restaurateurs qui veulent diversifier leur carte avec des options végétales et proposer un bœuf bourguignon, un poké bowl ou encore un burrito à base de plantes. »
Parce que rien n’est naturel ici, de l’identité même du produit jusqu’à son marketing, on ne parle pas ici d’un simple steak, nom commun générique, mais du « Beyond steak », appellation protégée par le droit des marques : quand la nourriture se « technologise », elle se privatise. Nous regrettions, avec une pointe d’ironie, il y a quelques jours sur Bouillantes la tendance du name-dropping ; nous déplorons plus encore cette terrifiante dérive de notre alimentation qui n’a plus rien de futuriste. Quel est le propre d’une société commerciale dans laquelle des investisseurs ont injecté des millions de dollars ? Inonder le marché de ses produits, tuer la concurrence « dans l’oeuf » et remplacer le vieux marché traditionnel de la vraie viande par son ersatz technologique. Toute la panoplie de la communication est déjà en place depuis longtemps, avec des arguments chocs : pollution due aux animaux, bien-être animal, etc. Les liens entre certaines associations de défense des animaux et activistes capitalistes de la viande sans viande ont été prouvés depuis longtemps. Le lobbying pour déstabiliser une filière historique et favoriser l’émergence d’un nouveau marché n’est pas une lubie de viandards conventionnels mais une vérité terrifiante.
Dès maintenant, les restaurateurs français peuvent acheter tous les produits « Beyond meat » chez Metro, Costco, Creta Gel, SDV et autres distributeurs spécialisés. Certains n’y verront qu’une extension bienvenue des alternatives à la viande, la vraie. D’autres, plus sceptiques, estimeront que celle-ci cache en réalité un mouvement inéluctable du capitalisme technologique qui consiste à gagner sans cesse des parts de marché, jusqu’à passer en situation oligopolistique, puis monopolistique. Que se passera-t-il quand, demain, la vraie viande changera de statut, qu’une série de lois – poussée bien évidemment par les sociétés comme Beyond Meat – viendra limiter fortement la possibilité de faire commerce de celle-ci, au profit d’une « viande » prétendue aussi « goûteuse et délicieuse, respectueuse de la planète et sans cruauté envers les animaux » pour reprendre les arguments de Laure Durand, directrice des ventes de Beyond Meat en France ? La privatisation de notre alimentation aura gagné et le consommateur aura tout perdu. Le faux nous sera imposé car le vrai nous sera interdit. Et bien sûr, le Sirha, rouleau compresseur de l’agro-industrie, est fier de dérouler le tapis rouge sang du « sans » à de tels pourfendeurs de l’artisanat et de l’alimentation du vrai. Sans que cela ne semble déranger personne dans les travées du salon.
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Pratique | Lien vers le site de Beyond Meat | Lien vers le site du Sirha
Photographie | Llio Angharad