Les notations du guide Michelin sont suffisamment incohérentes, voire aberrantes, pour rejeter d’emblée toute idée de vadémécum pratique et objectif pour monter dans la hiérarchie étoilée du guide rouge. Si tel était le cas, ce serait trop facile. Déjà que la première étoile, souvent assimilée à une « étoile technique », se refuse chaque année à de nombreux prétendants, et que la deuxième semble régulièrement dictée par un choix éditorial aléatoire du guide – un coup les grosses maisons luxueuses, un coup les petites maisons indépendantes… -, la troisième n’échappe pas à sa part aléatoire.
Mais l’aléa ne doit pas empêcher de partir de temps en temps en quête d’indices, de petits cailloux (inter)stellaires qui peuvent faire sens. En relisant le paragraphe concernant le nouveau trois étoiles, Sushi Sho dans le tout récent communiqué de presse de la sélection des villes du nord-est américain, en date du 19 novembre, il est fait référence à « l’ambiance poétique » du lieu. Dès le lendemain, jeudi 20 novembre, le guide Italie récompensait le restaurant Rei Natura by Michelangelo Mammoliti également de trois étoiles. Le communiqué de presse explique que le chef « offre une expérience culinaire alliant raffinement et poésie ». De nouveau, il est question de poésie. Rappelons ici la définition du terme. Selon le Larousse, il s’agit de « l’art d’évoquer et de suggérer les sensations, les impressions, les émotions les plus vives par l’union intense des sons, des rythmes, des harmonies, en particulier par les vers ». Nous sommes bien loin de la seule assiette comme seul juge pour noter les restaurants. Mais là n’est pas le présent débat.
Deux nouveau trois étoiles en deux jours, deux fois une référence à la « poésie » ou au « poétique ». Un simple hasard du calendrier, un gimmick rédactionnel du service de presse ou un début de schéma explicatif ? Penchons-nous sur la sémantique par exemple du Coquillage (Saint-Méloir-des-Ondes, 35) d’Hugo Roellinger, honoré d’une troisième étoile en 2025. Et que découvre-t-on ? Que le chef « signe aujourd’hui ce poétique voyage ». Si l’on remonte le temps, le texte du Clos des Sens (Annecy, 74) y fait aussi référence, parlant d’une « cuisine qui emprunte autant à la poésie qu’à l’art moderne ». D’autres restaurants, doublement étoilé à ce jour, se retrouvent avec de la « poésie » dans le texte : la Maison Benoit Vidal (Annecy, 74), Jean Sulpice – Auberge du Père Bise (Talloires, 74) ou le Pré – Xavier Beaudiment (Le Broc, 63).
À chaque fois que le mot est utilisé, il jouit d’une connotation très positive. Sans surprise, on peut le rapprocher des termes de « créativité » et d’« identité ». Alors, faisons un peu de « poésie fiction » et cherchons, parmi les prétendants sérieux à la troisième étoile en France en 2026, lequel se révèle le plus poétique. Tiens, un nom s’impose immédiatement. Je l’ai. Vous l’avez ? Un indice : « La vocation de la poésie n’est pas de nous éblouir par une idée surprenante, mais de faire qu’un instant de l’être devienne inoubliable et digne d’une insoutenable nostalgie. » C’est de Milan Kundera. Et l’écrivain, accompagné de sa femme, savait choisir ses tables.
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Photographie | JR Korpa


























