Subtiles réflexions sur l’art de tremper… et le fétichisme sexuel 

La littérature culinaire déborde d’ouvrages. Un truisme d’écrire qu’il y a à boire et à manger. À chacun de trier et de faire ses choix. Mais, ô surprise, il y a encore des sujets pas ou peu abordés et qui, pourtant, ne manquent nullement d’intérêt. Ainsi de l’art de tremper, qui dépasse et diffère de celui de saucer. L’auteur P.F. Roy s’est penché sur la question, au détour d’un café chez un ami. Il en résulte ce « manuel à l’usage des Français et des étrangers qui trempent ». Un livre court, concis et érudit où l’on découvre que la trempe, c’est du sérieux.

À la question de savoir si la gastronomie appartient au champ artistique, les spécialistes se divisent encore. Chacun a ses arguments, tous se défendent et les débats se terminent souvent – sans jamais se conclure – devant une bonne assiette qui, elle, fait l’unanimité. Telle est la magie du bon débat comme du bon repas. Et qui dit bon repas dit bonnes manières. Il y a ce qu’il se fait et ce qu’il ne doit pas se faire. Avec le temps, celles-ci ont évolué. Là encore, la littérature ne manque pas de manuels et autres recueils de savoir-vivre : ne pas faire ci, ne pas dire ça. À défaut de trancher sur son artification, la bonne chère a assurément ses codes. Ainsi de la bonne attitude à adopter face à la sauce. Pendant longtemps, il fut mal vu de saucer, pour ne pas dire interdit par une bourgeoisie peine-à-jouir adepte des oukases en tout genre pour défendre leur pré carré aseptisé. Heureusement, des révolutions tranquilles ont décroché le bénitier des béni-oui-oui pour y accrocher la saucière, le pain et la pêche pècheresse à la sauce dégoulinante. Depuis, la cuisine a remis la sauce au goût du jour et, à en croire une nouvelle littérature florissante, saucer est un art. L’art, toujours l’art.

L’art de saucer, de croquer, de sucer, d’avaler – je vous abandonne à vos interprétations suspicieuses – et, désormais… l’art de tremper. Tremper… Ne pensez pas ‘bain’ chaud, mais pensez pain sec et autres ‘supports’ du trempage. Lire l’ouvrage de P.F. Roy permet de se plonger dans une pratique aussi populaire que peu étudiée. En une douzaine de chapitres, le court opus délivre un aperçu très large du trempage, abordant ainsi les questions des « supports », des « stabilisateurs », des « garnitures », des « liquides », des « récipients » et bien plus encore. Cela se lit vite et bien, on se surprend à se questionner sur nos mouillettes, nos tartines, sur tous nos trempages divers. Mais, surtout, la question lancinante de la culpabilité à tremper s’évapore au fil des pages. « Tremper est le ‘chaînon manquant’ de Darwin entre le solide et le liquide, entre les aliments éparpillés sur la table et le melting-pot intérieur de notre corps : memento mori, tremper annonce l’inéluctable décomposition finale. Et s’il faut un jour manger séparément le beurre et le pain pour être gastronomiquement correct, dans les catacombes se réuniront les trempeurs, pareils aux premiers chrétiens qui se cachèrent pour consommer l’eucharistie originelle : du pain trempé dans du vin » conclut P.F. Roy. 

_____

Croûtenards, soupeurs : trempe et fétichisme sexuel 

Âme sensible, estomac fragile et esprit étroit, nous vous recommandons d’arrêter là (oui, là !) la lecture de ce court texte qui va vous parler d’une pratique déviante liée au fétichisme sexuel et à la trempe. Le sujet ? N’y allons pas par quatre chemins puisque les âmes sensibles ont arrêté leur lecture ci-dessus (dernier rappel avant la trempe) : les soupeurs et les croûtenards ont pour passion de tremper du pain dans l’urine avant de s’en délecter. Non pas la leur, ce serait d’un banal, mais celle des autres. Nos gourmands fétichistes adorent ainsi jeter du pain en début de journée dans les vespasiennes – communément appelées pissotières – pour le soir venu, à la bonne heure, récupérer le morceau savamment imbibé et s’en régaler. Avec un verre de blanc, de bière ou accompagné d’un cornichon, nul ne le sait. 

Légende urbaine ou fétichisme sexuel bien réel, le cœur balance. Chose certaine, la littérature en fait régulièrement écho, de Jean Genet à Joann Sfar, en passant par Louis-Ferdinand Céline, Albert Simonin ou Auguste Le Breton. Un blog, créé par Emmanuel Villemin, était même dédié au sujet, tandis qu’une vieille plaque en céramique trône toujours dans les toilettes d’un bar du très vivant quartier Solférino de Lille. Il y est écrit : « Ne pas déposer de croûtons de pain dans les urinoirs ». Peut-être faudrait-il y ajouter « et les chewing-gums ». Mais il s’agit assurément d’un autre sujet. (Un grand merci à Emmanuelle Levesque pour cet éclairage très… singulier)

_____

Pratique | L’art de tremper. Manuel à l’usage des Français et des étrangers qui trempent | 2023 | 10€
Secrétariat de rédaction | Sarah Rozenbaum
Photographie | Charlie Harris

LES DERNIERS ARTICLES

La mauresque : un cocktail à la conquête du monde

Pastis, sirop d’orgeat, eau fraîche, voilà la composition aussi simple que percutante de la mauresque. Comment une boisson traditionnelle de bistrot, inventée selon la légende par les soldats dans les années 1830 en Algérie, est devenue une source d’inspiration pour des établissements branchés qui la retravaillent au gré de leur inspiration ? Explications.

Madame Cacao : l’échec aussi cuisant que silencieux de Christelle Brua

À peine deux ans d’existence, le soutien actif de Brigitte Macron, une communication tapageuse signée Melchior et un échec totalement placé sous silence médiatique : la marque Madame Cacao signée Christelle Brua a déjà mis la clé sous la porte. Après le ramdam de l’ouverture, voilà une liquidation dont la presse ne parle pas : voilà qui en dit long sur les rapports de pouvoir nauséabonds dans le petit monde de la bouffe.

Michelin : départs au sommet et ménage en cours

Que se passe-t-il vraiment à la direction du guide Michelin ? Selon nos informations, plusieurs départs (ou évictions) sont en cours et de nouvelles têtes arrivent pour faire le ménage à tous les étages. L’été s’annonce brûlant dans les bureaux parisiens du guide.

Thierry Marx et l’agroalimentaire : une relation naïve et fautive au pays de la gastronomie ?

Le très médiatique chef Thierry Marx vend depuis de longues années son image pour vanter des produits industriels de qualités diverses, de Lidl à Picard, en passant par les boulettes pour chiens et chats. Entre le cuisinier étoilé et président du principal syndicat de la restauration d’un côté, et sa posture d’homme-sandwich de l’autre, l’homme interpelle et interroge. Là où certains décèlent de la naïveté du petit gars de Ménilmontant, d’autres y voient les stigmates d’un homme d’affaires avide et sans scrupules.

François Perret quitte le Ritz Paris

Après dix années de bons et loyaux services, et deux boutiques ouvertes à Paris, le pâtissier François Perret quitte le palace parisien de la Place Vendôme.

50 Best Restaurants : pas anti-Français, plutôt pro-fric

Depuis sa création en 2002, le classement anglais World’s 50 Best Restaurants a la réputation d’être anti-Français. Une explication un peu trop facile et surtout fondamentalement fausse. La réalité se révèle beaucoup plus simple : le 50 Best n’est qu’un jeu où il faut mettre beaucoup d’argent pour attirer le votant. La France, elle, n’a pas envie de jouer sur ce terrain-là.

L’addition en trois fois sans frais : carte vitale ou mort à crédit ? 

En proposant de payer son repas en trois fois sans frais, à l’image d’un classique crédit à la consommation pour s’offrir une voiture ou un canapé, le chef Alain Llorca, à la tête du restaurant étoilé éponyme, bouscule totalement les us et coutumes du secteur. Piste salutaire pour contrecarrer une baisse du chiffre d’affaires ou voie de garage qui ressemble à une mort à crédit ?

Alain Llorca (Restaurant Alain Llorca, 06) : « Je maintiens la qualité mais j’augmente l’accessibilité grâce au paiement en plusieurs fois »

En proposant un règlement en trois fois sans frais du repas consommé dans son restaurant de Saint-Paul-de-Vence (06), le chef Alain Llorca bouscule le principe du règlement immédiat. Est-ce un choix bien raisonnable, n’existe-t-il pas un danger pour les clients de repartir avec un crédit sur le dos ; n’est-ce pas délicat en termes d’image pour le restaurant ? Alain Llorca répond à toutes ces questions bouillantes.

Sondage : 87% des votants contre l’idée du repas à crédit

En période de vaches maigres, il faut parfois imaginer des solutions nouvelles pour essayer de sortir la tête de l’eau. Un chef étoilé français va proposer à ses clients de payer leur repas en trois fois sans frais pour remplir sa table. Le repas à crédit ? Une mauvaise idée selon notre sondage.

Le 50 Best récompense Mostafa Seif, chef pro-Hamas qui ne reconnait pas l’existence d’Israël

Dans sa batterie de récompenses annuelles, le 50 Best Restaurants a récemment honoré Mostafa Seif, chef d’un restaurant situé en Egypte, du prix One to Watch. Or celui-ci a posté sur Instagram un message niant l’existence de l’Etat d’Israël quelques jours seulement après les attaques du 7 octobre 2023. Contactée par Bouillantes, l’attachée de presse du 50 Best Restaurants ne voit pas où est le problème.

Florent Ladeyn : « Ma nature n’est pas d’être spectateur de la bêtise sans tenter d’expliquer à un fou qu’il est fou »

Suite à l’annonce de la fermeture de Bisteack, restaurant situé à Béthune (62), le chef Florent Ladeyn a subi une vague d’attaques personnelles et professionnelles. L’homme, qui n’est pas du genre à « rester assis et tendre la joue gauche, s’est fendu d’un long message sur son compte Facebook. Un texte aussi clair que vigoureux, particulièrement salutaire en ces temps où chacun se rêve en justicier blanc derrière leur écran noir. Bouillantes a décidé, avec l’accord de son auteur, de publier l’intégralité du texte.

“Oui chef·fe !” : l’intégration par imitation

Le fameux « Oui chef.fe » a encore cours dans la plupart des cuisines des restaurants français. Une expression qui en dit long sur le métier, sur ses codes et qui dépasse de loin les seuls savoir-faire. Doit-elle désormais tourner court ?

Tanguy Laviale (Ressources, Bordeaux) : « Ce n’est pas l’ordre qui crée la performance, c’est l’adhésion »

Dans un milieu encore largement marqué par la hiérarchie militaire, les violences symboliques et la compétition effrénée, Tanguy Laviale fait figure d’exception. À la tête du restaurant bordelais Ressources, il a choisi une autre voie : celle de l’horizontalité, du respect, et du management « durable ». Entretien sans détour avec un chef qui refuse d’en être un.

Quand le restaurant se rêve en nouveau théâtre national populaire

L’avenir de la gastronomie française passe-t-il par sa démocratisation ? À l’image du théâtre populaire ou de la culture pour tous prônés par Jean Vilar et André Malraux au siècle dernier, le restaurant gastronomique se rêve lui aussi accessible à tous… pour survivre.