Le discours politique aime les raccourcis, les simplifications, les caricatures. Dire que les réseaux sociaux, principale source d’informations pour une part non négligeable de la population, encouragent et amplifient ces mêmes travers relève de l’euphémisme. Les médias classiques, concentrés comme jamais, autant désorientés que trop orientés, provoquent méfiance, défiance, déviance. Le simple fait de penser « complexe » aujourd’hui constitue de plus en plus une gageure dans un monde qui confond sans cesse vitesse et précipitation. Le président de la République est-il lui même tombé dans cette confusion en annonçant la tenue d’élections législatives anticipées après la débâcle des européennes ? Peut-être bien. Certains attendent impatiemment le 7 juillet au soir pour lui tailler ce qui lui reste de croupières. D’autres, beaucoup d’autres, n’ont que faire de l’impatience de la fessée publique. À la débâcle d’un homme, ils redoutent la déroute collective et la dérive d’un pays.
Inutile de convoquer l’histoire ici pour rappeler que la France a connu une somme infinie de soubresauts révolutionnaires et qu’elle a su, seule ou collectivement, relever le bonnet phrygien. Aujourd’hui, la question n’est pas tant celle de la fin de l’histoire – les thèses eschatologiques de Francis Fukuyama ont vécu – mais, au contraire, la survenance possible d’un virage aux allures de trou noir à même de dissoudre nos plus solides idéaux pour mieux construire une nouvelle société basée sur des principes haineux où règneront en maitre exclusion et stigmatisation.
Pour ne pas tomber à notre tour dans la caricature ou la simplification, nous n’affirmerons pas ici qu’il s’ensuivrait le chaos absolu si l’extrême droite venait à s’imposer le 7 juillet. Les reculades programmatiques, les élucubrations et les facéties propres à l’exercice du pouvoir font que nul ne sait concrètement ce qui sera fait, ou pas fait dans les haut lieux du pouvoir. La solidité de nos institutions, posées en 1958 – une éternité au regard de notre histoire constitutionnelle -, a déjà été éprouvée plus d’une fois, notamment en période de cohabitation. Les alliés de circonstance sont des ennemis en puissance. Implosion et explosion sont sur un bateau ; et le bateau prend l’eau, sous le regard hagard d’un peuple qui prend sa longue-vue à l’envers pour croire que le naufrage se vivra de loin. On se croirait presque dans une mauvaise adaptation du film de Ruben Östlund, Sans Filtre.
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Après un premier billet relatif à ma critique de Babette de Rozières, qui s’est engagée avec le parti d’extrême-droite du Rassemblement National, certains lecteurs ont décidé de se désabonner de Bouillantes. C’est le risque. C’est le jeu. Depuis toujours, que ce soit précédemment sur le média Atabula, mais même avant lorsque j’avais créé et dirigé un média dédié au décryptage de l’immigration et à la valorisation des cultures du monde à Paris, et je peux même remonter au petit fanzine politique créé au sein de ma fac de droit, j’ai toujours écrit avec engagement, conviction et opinion. Je suis ainsi, et mes médias successifs me ressemblent. On aime ou pas. Je m’amuse souvent à répéter que si un jour je suis consensuel, j’arrêterais immédiatement d’écrire.
Débattre dans une société clivée, où sans cesse l’on se questionne sur son élasticité idéologique, constitue un véritable défi. Tout le monde cause, personne n’écoute. Hurler fait rarement sens. Pire, cela exacerbe les positions extrêmes. Ce nouveau billet, engagé, n’a pas la prétention de donner des solutions, ni même de décrypter une idéologie. Ce n’est pas un essai, juste un article, court, concis, qui vient du coeur. Il me semblait important que Bouillantes, qui délivre régulièrement ses opinions – une chose rare pour une presse dite « professionnelle », s’engage a minima dans la cuisine politique actuelle.
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À chaos institutionnel incertain, défaite idéologique évidente. Une défaite qui a démarré il y a fort longtemps. En 1983, un certain Jean-Pierre Stirbois gagne la mairie de Dreux (Eure-et-Loir). L’homme, étiqueté Front National (le Rassemblement National d’aujourd’hui) remporte la ville grâce à un accord passé… avec le RPR (Les Républicains d’aujourd’hui). Depuis plus de quarante ans, les frontières sont poreuses entre les deux entités, et les structures affidées (Ordre Nouveau, Occident, Gud…). Quand on regarde un peu l’histoire, récente ou pas, comment peut-on être réellement surpris par l’accord signé entre Eric Ciotti et Jordan Bardella ?
Cécité dans la Cité. Ouvrons simplement les yeux, éteignons la plupart de nos écrans qui nous abreuvent de faux débats et de « Coup d’État permanent », prenons le recul nécessaire pour ne serait-ce qu’apercevoir et déceler un début de complexité dans les propos simplificateurs assénés telles des vérités irréfutables, et se forger une opinion non pas dans la furie de la réaction, mais dans la sérénité de la réflexion. Mais il est vrai que le calendrier imposé n’aide pas à échapper aux raccourcis, simplifications et caricatures. À croire que tout est fait pour que le citoyen s’égare irrémédiablement dans le sombre labyrinthe politique. Et plonge irrémédiablement dans le trou noir dans lequel les bonimenteurs jurent qu’il y aura de la lumière. Assez de lumière pour poster une dernière story sur les réseaux sociaux ? Pas sûr.
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Photographie | Getty Images