En restauration comme en littérature, la fin des vacances estivales se ressemble en tout point : l’heure est aux nouveautés qui, communication oblige, volent groupées. On ne sait plus trop où donner de la tête sans tourner de l’oeil. Dans ce maelström plus ou moins ordonné par des communiqués de presse aux tentations diverses, l’expérience permet de positionner assez rapidement les acteurs. Il y a les concepts qui veulent faire du bruit dès l’ouverture, la deuxième, troisième ou quatrième adresse du chef untel qui a oublié la cuisine pour se concentrer sur le business, les inconnus au bataillon qui visent la reconnaissance, les Top Chef sortis du bocal. Et il y a des cuisiniers qui osent, en ces temps difficiles pour le secteur de la restauration, ouvrir une nouvelle affaire, prendre leur premier poste de chef et revendiquer en outre une cuisine propre. Entendre par là : personnelle, singulière. Sont-ils les plus fous du lot ? Pas impossible.
Mais quand, à la folie douce (rien à voir avec…), s’ajoutent le talent, l’intelligence, la richesse d’un parcours et une extrême gentillesse, le risque se mue en bon coup. Coup de chapeau, coup de génie, trop tôt pour le dire ; la suite le dira. Mais, assurément, il y a chez Aldehyde tous les ingrédients qui donnent envie de dire qu’une très belle table vient de voir le jour à deux pas de la Seine, au 5 de la rue du Point Louis-Philippe.
Soyons un peu concret : un père pâtissier, une mère restauratrice, major de promotion en chimie (toute la fratrie affiche d’ailleurs un sacré pedigree professionnel), réorientation vers un BTS cuisine, passé au Ritz époque Nicolas Sale, chez Tomy and Co, au Tout-Paris (Cheval Blanc, Paris), Youssef Marzouk s’amuse à oeuvrer au salé comme au sucré, monte en responsabilité et est arrivé ce qu’il devait arriver : annoncer au chef Arnaud Donckele qu’il était temps pour lui de se lancer dans le grand bain. Ce dernier l’invite à prendre son élan et à viser juste.
C’est désormais chose faite. Dans un écrin entièrement repensé, avec cuisine ouverte et multiples bouteilles de vinaigre rangées sur les étagères (« Tout est fait maison et servira en cuisine, ce n’est pas que de la déco » explique le chef), la petite équipe 100% masculine propose une cuisine gastronomique qualifiée de « française » mais ponctuée par les influences tunisiennes du chef. Paradoxalement, c’est un bouillon asiatique, découvert du côté de Phuket, en Thaïlande, qui provoquera une immense émotion lors de notre repas, accompagnant le poireau travaillé de deux façons et quelques petites ravioles de canard à tomber à la renverse. Un très grand plat, faussement simple, au parfait équilibre gustatif, qui ne s’égare pas dans des démonstrations inutiles pour se contenter d’aller droit au but. De bout en bout, dès le démarrage avec le canapé de carotte et cumin qui pose le décor (et l’identité), jusqu’au dessert au chocolat fumé et tagète qui constitue un exemple de maitrise du sucre et de fraicheur, le repas régale.
Un énorme coup de coeur pour Aldehyde (pour celles et ceux qui cherchent l’origine de ce mot : il s’agit du nom de la molécule contenue dans la coriandre, reflétant ainsi le caractère distinctif de sa cuisine), une table qui va rapidement prendre toute sa place sur la scène culinaire parisienne.
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5 rue du Pont Louis-Philippe, Paris (4e arr.) | 09 73 89 43 24 | Déjeuner : e/p/d (45€) et e/p ou p/d (35€) ; diner : cinq temps (95€) et sept temps (120€) | Du mardi au samedi, déjeuner et diner | Lien vers le site Internet
Photographie | Ilya Kagan, FPR